Dieu changea de sexe, pour ainsi dire by Jacques Dalarun

Dieu changea de sexe, pour ainsi dire by Jacques Dalarun

Auteur:Jacques Dalarun [Dalarun]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Pourtant, en regard, se tissent entre ces femmes des convergences qui renvoient aux mouvements, aux tensions de la société de leur temps. Tout d'abord, un lien affirmé avec une cité, une bourgade, dans la vie des saintes comme dans leur culte: ainsi les cloches qui assemblent tous les citadins pour célébrer leur réclusion ou leur trépas36. Dans toute l'Europe, l'éclosion de la sainteté féminine des XIIIe-XIVe siècles s'observe en priorité dans les régions où se déploie la civilisation urbaine37. Parmi les innombrables statistiques élaborées par Rudolph R. BELL, une retient l'attention: jamais les saintes italiennes n'ont si peu voyagé qu'aux XIIIe-XIVe siècles38; sainteté locale, solidement enracinée dans les murs d'une bourgade, d'une cité. En second lieu, toutes ces femmes traversent une période de réclusion; réclusion urbaine là encore, car l'érémitisme dans les solitudes des bois, des rocs ou des lagunes reste obstinément l'apanage des hommes39. Enfermement collectif ou individuel, à domicile ou dans les dépendances d'un édifice public: ce choix semble témoigner tout à la fois d'une volonté d'ascèse — rupture, goût pour la plus haute difficulté — et d'un désir ou d'un réel besoin de protection. Cette réclusion, qui peut être l'objet d'une cérémonie officielle, se vit pourtant le plus souvent à l'écart des Ordres religieux constitués, mais devient rapidement dans les cités comme une sorte d'institution, une forme étonnante de protection sociale. Anna BENVENUTI PAPI et Paulette LECLERCQ l'ont tour à tour signalé: les Ordres religieux traditionnels offraient un nombre extrêmement limité de possibilités d'insertion pour les femmes40. Anna BENVENUTI précise l'analyse41: tandis que les monastères bénédictins restaient la chasse gardée des filles de l'aristocratie foncière, le poids des dots réservait les couvents de Dominicaines ou de Clarisses aux filles des classes les plus aisées des cités. Pour les autres restaient les tiers Ordres et toutes les expériences novatrices entre vie laïque et religieuse, "mi-chair, mi-poisson" selon le mot de Jacques LE GOFF42.

Plus qu'elles ne l'infirment, les sources hagiographiques complètent et affinent ce déterminisme social43. Si l'aristocratique Humilité de Faenza ressent un temps l'appel de l'exigeante solitude, elle finit cependant ses jours à la tête d'une abbaye bénédictine. Claire de Rimini, de noble extraction, reste longtemps sous la tutelle d'un homme: son père, son mari, son père encore, son nouveau mari, son frère. C'est une fois sa famille décimée, victime de l'exil politique, que Claire prend goût à la solitude chez son frère survivant, puis aspire à plus de liberté. Après avoir passé l'âge trente-quatre ans - ce qui fait bien tard —, elle rompt enfin les amarres. Comment ne pas mettre en relation la précarité de son statut avec les vicissitudes subies par les siens? Femmes pauvres, comme Verdiana, Zita, Oringa ou Jeanne, femmes 'perdues' par leurs vies dissolues comme Marguerite de Cortone ou Angèle de Foligno, femmes perdues par l'éclatement des structures familiales, dans les luttes de clans comme Claire de Rimini ou les renversements de fortune comme Fine de San Gimignano ou Vanna d'Orvieto († 1306), femmes proies des hommes et qui se refusent, comme



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